Flash-back, Faith Ringgold, Londres, 2019

En 2019, Serpentine Galleries présentait une rétrospective de Faith Ringgold. L'exposition nous faisait revivre l’esclavage aux États-Unis, la lutte pour les droits civiques, le lent et inachevé affranchissement des femmes. Faith Ringgold est une richesse d’identités multiples : femme, afro-américaine, artiste. Sa pratique artistique se trouve à la parfaite intersection de ces identités. Son œuvre et l’exposition qui lui est consacrée à la Serpentine Galleries se vivent comme une journée éclatante et intense.

Aube :

L’exposition commence par l’opposition entre le Black Power et la suprématie blanche aux États-Unis. Faith Ringgold nous rappelle que les hommes n’ont pas la même place sous un soleil encore timide.  Toute l’exposition est marquée par ce conflit latent et destructeur. Le tableau American People #19: US Postage Stamp Commemorating the Advent of Black Power de 1967 dans la première salle impose aux visiteurs d’ouvrir les yeux sur la domination blanche. Dans un tableau qui pourrait être un timbre de collection largement agrandi, un nuancier de visages blancs s’oppose à une diagonale de visages noirs. La répétition des visages et le détournement d’un objet du quotidien ne sont pas sans rappeler le pop Art d’Andy Warhol, utilisé ici dans une visée politique et polémique. Les visages noirs forment une croix avec l’inscription BLACK POWER. Faith Ringgold dépeint l’inégalité dans sa forme la plus simple : numérique, puisqu’en 1967 10% de la population étasunienne est noire. Cette inégalité est traitée dans d’autres œuvres de l’exposition par le recours à des cartes géographies, des symboles nationaux détournés. Si la mise en forme reste légère voire ludique, le sujet de fond n’en reste pas moins sérieux. Le ciel a du mal à s’éclaircir, la journée s’annonce pleine de gravité, Faith Ringgold ne nous ménagera pas.

Jour :

1970, Angela Davis est arrêtée et emprisonnée à la suite d’une tentative d’évasion de trois prisonniers. La communauté artistique se mobilise, et Faith Ringgold n’est pas en marge. Une journée bien occupée est une journée de lutte pour une activiste comme Faith Ringgold. Sur le modèle de l’art Kuba du Congo, basé sur la répétition de motifs géométriques, l’artiste crée une affiche de soutien : America Free Angela. La forme crée un texte réparti en huit triangles dans un rectangle. Cette structure se retrouve dans d’autres œuvres de l’exposition, moins figuratives. Artiste complète, qui a exploré le motif, la couleur, l’abstraction, la figuration, la matière, Faith Ringgold se démarque surtout pour la dimension morale associée à ses œuvres. Le soleil de l’engagement brille pour Faith Ringgold et toute son œuvre est une rotation continue autour de cette orbite.

Crépuscule :

Faith Ringgold est aussi écrivaine pour enfant et elle a l’âme d’une conteuse. Mais, les histoires qu’elle raconte dans l’exposition, ne sont pas des histoires pour s’endormir lorsque le jour décline. Elle a crééé une série de « story quilt », des couvertures d’histoires, et celle de l’exposition est marquée par une dimension féministe forte. L’œuvre Who’s Afraid of Aunt Jemima ? de 1983 est la première couverture qu’elle ait faite, lui demandant un an de travail. Elle reprend dans cette couverture la figure de Tante Jemima, une femme noire assignée au rôle de Nanny et popularisée par des produits de grande consommation. Face à ce stéréotype, Faith Ringgold réécrit une histoire, celle d’une femme noire qui s’affranchit et devient un modèle de réussite. L’artiste dénonce le manque de représentations de femmes noires dans la société. Son élan de réhabilitation s’inscrit dans son féminisme vital et joyeux, dont l’ensemble de l’exposition fait la part belle. Dans une obscurité naissante, la lumière du féminisme reste une veilleuse allumée dans l’esprit des visiteurs.

Nuit :

Sommeil agité : l’artiste n’hésite pas à dénoncer l’horreur des violences faites aux femmes. Son engagement est sans nuance et on passe de l’empouvoirement des femmes, à un triste rappel des oppression qui leur pèsent. Avec la série Slave Rape Series Faith Ringgold aborde le cauchemar de l’esclavage des femmes. Dans une maîtrise totale de la technique et de la composition des couvertures, Faith Ringgold choisit trois ancêtres femmes qu’elle actualise en y associant ses filles et elle-même. L’héritage est double : dans la technique et dans la représentation. Les œuvres traduisent trois stades dans la recherche de la liberté : la peur, la fuite et le combat. Cet élan libertaire transcende toute l’exposition. C’est ce mot qu’il faudrait retenir pour caractériser Faith Ringgold : libre.