Textes - Portrait - 06/01/2021
Ayez du sel en vous même
Il y a le sel qui donne à la mer un goût particulier et qui laisse la peau sèche. Il y a le sel de la terre, que sont tous les hommes et femmes de ce monde. Il y a le sel que l’on se passe à table, demandé sèchement ou au contraire avec politesse. Et puis il y a le sel des oeuvres de Bianca Bondi, symbole de toutes les réalités salines. Depuis ses études à l’Université de Paris-Cergy son propos créatif s’applique à utiliser et laisser agir le sel. D’abord dans ses vitrines. Les objets qu’elle y place sont glanés de ci de là. Unifiés par le même traitement, presque chimique, d’une solution salée, leurs origines et usages éloignés et contrastés coexistent alors. Le sel change les couleurs, et crée un relief de cristaux, épaisseur spontanée et imprévisible de dentelle. Cette intervention par le sel est pensée par Bianca Bondi comme une manière de prendre soin des objets. Ce n’est pas une simple couche de sel qui les recouvre, mais bien l’élan naturel du care qui par son extériorité permet aussi à l’artiste de prendre soin d’elle.
Au-delà de ses vitrines, sa pratique se déploie aussi dans des installations in situ. Spécifiquement pensées et créées pour le lieu, ses installations sont uniques et fugaces. Pour la Biennale de Lyon, Bianca Bondi avait figé dans le sel une cuisine ultra-moderne et high-tech. Cette installation était un hommage aux anciens employés du lieu, les usines Fagor. Le sel ouvre une nouvelle temporalité : avec le sel on conserve les aliments. Dans cette cuisine, ce sont les souvenirs qui étaient conservés. Véritable organisme vivant, le sel transforme jour après jour les objets et matières sur lequel il est déposé. L’installation est un écosystème, qui offre une image, des couleurs, des aspérités changeantes.
Pour la Biennale de Busan, le sel est omniprésent : ce sont six tonnes de sel qui prennent possession de l’espace. Sa présence est éminemment physique et sensorielle : la vue est saturée par cette couleur blanche, renforcée par des néons à la lumière très crue, le toucher se vide de son humidité puisque le sel absorbe tout, les vêtements et les cheveux réagissent directement à cette atmosphère gorgée de seul. Seules les touches de couleurs apportées par les fausses plantes et le point d’eau se détachent de ce blanc immaculé. Bianca Bondi réconcilie l’expérience du corps et de l’esprit, en proposant une immersion absolue et purificatrice.
À Tarbes au Parvis, le visiteur découvre un paradis artificiel, avec de l’eau salée de Lourdes, des plantes dont les teintes saturées offrent un contraste saisissant de jeux de couleurs. Les éléments végétaux sont un autre aspect fondamental de la pratique de Bianca Bondi. Elle s’intéresse aux plantes, presque comme un chaman, pour leurs vertus médicinales, les significations mystiques et mythologiques qu’elles véhiculent. Parfois fausses, souvent vraies, les plantes sont chargées d’une histoire et d’une énergie qui préexistent au moment de leur utilisation et exposition. Bianca Bondi, alchimiste, guérisseuse, est aussi un peu magnétiseuse des fluides qui traversent les objets, les plantes qu’elle utilise, mais aussi les individus qui plongent dans ses installations.
Enfin, Bianca Bondi inscrit sa pratique dans une localité et une écologie de moyens et de ressources. Ne voyageant qu’avec une valise, contenant des objets totems, Bianca Bondi arrive dans chaque nouveau lieu, avec l’exigence éthique et pratique de ne créer qu’avec des matières premières locales, et la certitude qu’elles pourront être réemployées.
Bercée d’influences multiples entre la spiritualité et l’attrait pour la nature, parcourue par des engagements écologistes, féministes, l’œuvre de Bianca Bondi est une baume d’harmonie, de modestie et d’humanisme.
- Rencontre avec Bianca Bondi, 28 Octobre 2020
Images :
Bloom (The Left Hand), 2020, detail
The Sacred Spring and Necessary Reservoirs, 2019. 15th Lyon Biennale © Blaise Adilon
The Antechamber © Busan Biennale 2020
Still Waters, 2020, le Parvis Centre d’Art.