Expositions - Exposition en cours - 07/05/2025
17 avril - 20 juillet 2025
Musée Sainte-Croix de Poitiers, centre d'art, école d'art et artothèque de Grand Chatellerault, ancienne école Chabram² à Touzac-Bellevigne
Avec l'accompagnement curatorial de la platforme Föhn
Artistes invité·es : Léon Binétruy, Claire Bouffay, Clément Courgeon, Célie Falière, Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, Thomas Gaugain, Giga dinette, Barbara Kairos, Lou-Andréa Lassalle-Villaroya, Théophile Peris et Alexandra Pouzet
Graphisme : Noémie Erb & Guillaume Tourscher
Sur trois lieux, le musée Sainte-Croix de Poitiers, le Centre d’art, école d’art et artothèque de Grand Châtellerault, et l’ancienne école Chabram² à Touzac-Bellevigne, et avec l’accompagnement curatorial de Föhn, Ce que Francine Poitevin a semé réunit treize artistes qui, à leur manière, s’intéressent à ce que Philippe Dagen nomme le « tribal occidental », c’est-à-dire le primitif des sociétés modernes. Les arts pauvres et populaires, représentés par les objets du fonds Francine Poitevin (1869 – 1946) déposés au musée Sainte-Croix par le Mucem, sont mis en regard avec des pratiques contemporaines généreuses, décalées, hybrides et critiques, comme autant de résistances à l’appropriation du folklore local par les idéologies identitaires.
La ruralité a le vent en poupe. Outre les trajectoires de vie individuelles, qui voient se généraliser les migrations néo-rurales, la ruralité est aussi un objet politique. Objet politique en tant qu’électorat spécifique, mais aussi dans son usage symbolique et sa mobilisation idéologique. Certains discours nationalistes en font le terreau de l’identité française et l’eldorado du repli sur soi. Le folklore local, émanation culturelle d’un terroir, est utilisé comme preuve d’authenticité. Cette occupation politique impose dans les consciences une vision monolithique et pure des traditions rurales, alors que leur héritage demeure, en pratique, pluriel, fragmenté, contrasté, métissé. Sur le terrain politique, des voix dissonantes se font entendre. Récemment, Samuel Grzybowski, militant associatif, a publié l’essai Les terroirs et la gauche. Il porte le message que les particularismes locaux ne sont pas simplement les marionnettes du conservatisme, mais sont historiquement des ferments de lutte pour les avancées sociales. Sur le terrain de la représentation, les artistes agissent comme garde-fou d’une appropriation complète du folklore local, en maintenant ouverts d’autres imaginaires.
Prenant pour point de départ la collection d’ethnographie rurale assemblée par Francine Poitevin, l’exposition réunit des pratiques artistiques contemporaines qui, tout en s’inspirant de la ruralité et du vernaculaire, existent et persistent hors d’un roman français nationaliste. Au contraire, les matières, les iconographies, les artefacts sont débarrassés de cette couche traditionaliste, pour laisser place à la poésie, la fiction, l’hybridation, l’incertitude, au vulnérable. On plonge dans du micro, du quotidien, du personnel pour mieux faire se craqueler un mirage identitaire uniforme. À la place d’une grandiloquence chauvine, c’est le banal et l’ordinaire qui l’emportent et avec eux l'hétérogénéité.
Théophile Peris, avec ses casques-fontaines, mélange objets et corps, pour donner vie à des créatures fontaines. Les poteries usuelles du 19ᵉ siècle avec lesquelles son travail est mis en regard, furent, de la même manière, des extensions des corps au service de besoins primaires d’alimentation et de conservation.
Alexandra Pouzet superpose et assemble les objets du fonds Francine Poitevin pour modeler des figures anthropomorphes, ancêtres auréolés de magie, ou des dialectes d’un langage graphique énigmatique.
Léon Binétruy présente une œuvre entre le chariot agricole et la cage thoracique décharnée. Son in-betweenness, c’est-à-dire sa fluidité entre les mondes, est accompagnée par des reprographies d’une sélection d’objets du fonds, liés à l’imaginaire du passage entre la vie et la mort.
Les sculptures en plâtre de Thomas Gaugain, dans lesquelles sont pris des textiles dont les motifs sont inspirés des châles du fonds, évoquent vaguement des membres humains, en inversant le rapport entre peau et tissu. Les limites entre les corps, quelque soit leur nature, s’effacent. Oui, les mélanges sont féconds, ils génèrent de nouvelles formes et des récits qui ne sont pas encore écrits.
Quelles portes ouvrent les clefs de Claire Bouffay et celles de Francine Poitevin ? Séparées par les âges, elles sont liées par leur irrésolution et leur potentiel imaginatif.
Barbara Kairos nous propose des fantômes d’objets choisis dans la collection du musée Sainte-Croix, qu’il faut tenter de deviner à partir de leur silhouette.
Sur les verres soufflés de Célie Falières se dessinent les traces des vanneries dans lesquelles ils ont été coulés, et que la température a brûlé. Ces entrailles en verre, sortes de contre-formes, sont mises en dialogue avec une vannerie poitevine, rappel de l’importance de ce savoir-faire artisanal dans la région.
Ici on joue au mémory, là avec Giga dinette (Jane Bidet et Clara Valdes), on joue à la dinette avec leur service de vaisselle créé pour l’occasion à partir des formes du fonds. En porcelaine, leurs plats, leurs buies, leurs carafes sont à activer pour goûter des recettes sucrées et salées du Poitou, revisitées avec la complicité de producteur·rices locaux·les.
Rien n’est figé, ni pétrifié dans un verni d’idéalisation nostalgique. Au contraire, on voit l’épreuve du temps, sur les surfaces, mais aussi sur les corps, notamment ceux des bas-reliefs de Aurélie Ferruel & Florentine Guédon, noueux et déformés. Le vieilli, l’abîmé, c’est aussi celui ou celle rejeté·e par les normes sociales dominantes. Aux figures marginales auxquelles Clément Courgeon et Célie Falières donnent vie dans leur performance répond la trajectoire fantasmagorique de Mélusine. Personnage légendaire mi-femme mi-serpent, elle peuple les récits retranscrits par Francine Poitevin dans ses Contes et Légendes du Poitou. Lou-Andréa Lassalle-Villaroya suivra sa trace jusqu’à une folklo-boum participative. Élaborée grâce à des ateliers de co-création menés avec des groupes de publics du territoire proche de Chabram², c’est une parade costumée, chantée, dansée qui vous attend pour le dernier week-end de juin.
Les objets patrimoniaux du fonds Francine Poitevin sont des repères discrets d’usages et coutumes rurales passées, souvent perdues. Au cœur du Poitou, leur vie sociale d’objets utilitaires était peuplée de gestes et d’habitudes propres aux existences à la campagne et au travail de la terre. Certaines formes pourront évoquer les souvenirs d’une enfance rurale ; d’autres outils reviennent au goût du jour dans des pratiques de production artisanale qui s’inspirent de procédés anciens. Avec leur vie muséale, ils composent un autre récit, rendu lacunaire par le progrès et la modernité. Le dialogue avec les œuvres contemporaines se glisse alors dans les manques et les oublis, nous invitant, par l’imagination ou par le témoignage, à contribuer à notre tour à cette histoire paysanne fragmentaire.