Textes - Review - 02/03/2023
Troisième volet d’une itinérance chahutée entre Beyrouth (2019), Gand (2020) et Rennes, The sun is my only ally est une incursion sensible et subtile dans le monde de Charbel-joseph H. Boutros, où – sans grandiloquence – l’art et la vie sont assurément inséparables.
Des fragments intimes de sa vie côtoient les attentions délicates destinées aux personnels du Centre d’art. Objets et résidus du quotidien, comme des chemises portées ou de la cire de bougie votive récupérée, ont le même statut d’œuvre que la force des rêves, la présence de l’obscurité, et que du marbre sculpté en cubes que la commissaire porte en collier et dont chaque perle cubique correspond à un jour d’ouverture de l’exposition. La profonde cohérence qui se dégage de cet ensemble éclectique se tient par la modestie et la récurrence des formes, la légèreté des gestes, l’unicité chromatique, le retrait plutôt que l’ajout. Chaque élément né du besoin de sculpter l’invisibilité, trouvant sa juste place car il est l’expression d’une nécessité, celle de raconter et de partager la charge émotionnelle, sentimentale que l’artiste lui a confié. L’objet final, placé dans l’exposition, ne se regarde pas uniquement pour lui-même dans ses contours formels mais bien parce qu’il est le réceptacle d’un récit, d’un ailleurs, d’un évènement. Charbel-joseph H. Boutros s’attache à doter ces œuvres de ce qu’il appelle la « charged abstraction ». Dans un matériau simple – une vidéo, un son, du marbre – s’incarne alors une expérience unique de vie, qui transperce consciences et sensibilités malgré son immatérialité. L’œuvre Untouched Marble rassemble un cube de marbre vierge, et un autre que l’artiste a transporté partout avec lui pendant un mois. Ce cube devient alors le témoin chargé de sa routine quotidienne, ses déplacements, ses gestes, ses rencontres, ses états d’âmes. Étonnement, dans la réception de l’œuvre, cet effort de projection de l’intangible dans le matériel est spontané, presque naturel, car l’artiste utilise toute la magie de la confiance et de l’empathie humaine, cette connexion invisible qui nous permet de comprendre, parfois de s’identifier, aux élans et vécus d’autrui.