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Hugo Laporte

Portrait

Hugo Laporte

L’histoire pourrait commencer par un vieux buffet en bois imposant, aux contours familiers des intérieurs un peu datés mais peuplés de souvenirs. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas un remake de Narnia. Ses portes sont condamnées, elle est entièrement recouverte d’un crépi beige qui tire sur le gris ou le jaune. Elle est agitée de tremblements et de vibrations, et relâche à l’arrière, via une grille d’aération, une vapeur blanchâtre. Le crépi vient révéler la décrépitude de ce mobilier, bloqué dans une époque passée, mais traversé d’un dernier souffle de vie. À la manière dont les vestiges de Pompéi et Herculanum ont été figés dans la lave, ce recouvrement peut se lire comme une tentative de conservation, une intervention pour brouiller la trame du temps qui passe, et s’engouffrer dans une autre dimension temporelle.

Creepy Temple permet à Hugo Laporte de poser un principe fondamental de son travail, qu’est le choix pour l’esthétique de la blessure, du désastre. C’est un refus du lisse, et de la société ordonnée, linéaire, aseptisée et efficace. Il·elle s’est tourné·e au contraire vers la lenteur et la rugosité. Une lenteur dictée par son outil fétiche, le stylo 3D, qui allonge sa durée de travail jusqu’à le·la plonger dans un processus méditatif, une transe du fait-main où les heures défilent et additionnent desmicro-gestes répétitifs dignes de l’orfèvrerie. La rugosité est un héritage, une sensibilité particulière qu’il·elle porte à l’arte povera, courant artistique des années 196. Un positionnement social et politique qui se traduit esthétiquement par des matériaux pauvres et une précarité plastique. Hugo Laporte s’en réclame, tout en replaçant l’esthétique post-internet par une actualisation du lexique des matières, avec d’autres composantes et rebuts propres aux sociétés contemporaines. En résultent des hybridations entre nature et technologie quand par exemple des fibres de kombucha sont associées à des écrans LCD dans la série des Lanternes, (2021). Plus encore, là où la terre ou le bois étaient des constantes chez les artistes de l’arte povera, Hugo Laporte a, quant à lui·elle, recourt aux plastiques, matériaux pauvres par excellence de la société contemporaine et de son obsolescence. Il s’attache à récupérer ces supports de conservation et de diffusion numérique, un kyrielle de plastiques électroniques, informatiques, bureautiques, téléphoniques. Ils sont liés entre eux par des filaments de PLA utilisés pour l’impression 3D, un plastique « naturel » biosourcé, obtenu à partir d’amidon de maïs et coloré grâce à des déchets divers (huitre, café, bière, cacao, moule, blé, ardoise).

De la même façon, les images qu’il·elle recueille sur internet sont des photographies pauvres, vernaculaires, sans valeur esthétique. C’est en écumant des sites internet comme Leboncoin, Vinted ou Ebay, qu’Hugo Laporte amasse des photographies prises par d’autres, mais qui dévoilent des gestes de mise en scène singulières destinées à vendre des objets plus ou moins désuets. Par exemple, dans son livre How Not To Be Rich Il·elle a collecté les images de câbles, pris sous un certain angle, tenus par des mains anonymes qui en montrent les embouts (mâle/femelle). Pour la Contemporaine de Nîmes, au Carré d’art[1], il·elle présente une autre collection iconographique, cette fois fictive ; une sélection de 1500 photographies de sculptures générées par intelligences artificielles, présentées sur une grille de conservation muséale.

Au gré de ses déambulations, virtuelles et physiques, il·elle accumule des représentations et des artefacts low-tech, qui deviennent ensuite un stock disponible, d’images ou de matières, pour donner naissance à une pièce, de la même manière qu’il digue quotidiennement de la musique pour créer des mixes et pièces sonores. Les matières sont choisies pour leur relief et les objets pour leur charge affective. Les œuvres ne répondent alors pas à une idée formelle précise et prédéterminée, mais sont plutôt le fruit aléatoire et intuitif d’assemblages, de superpositions, de confrontations des matières. Puzzles sans modèle, restaurations sans maquette mais qui tendent a ressembler à des formes inter-civilisationnelles, aux usages universels. Les formes produites sont primitives : des vases, des lampes, des clefs, des bijoux, des armes, des fontaines. Un corpus d’items domestiques, d’archives à mi-chemin entre archaïsme et technologie, pour contrecarrer toute assignation.

Parfois le geste est ornemental, mais parfois aussi violent, il sectionne, évide, brûle, torde. Ici c’est une unité centrale d’ordinateur vidée et compressée, là un macbook pro transpercé par un didjeridoo, ici encore des claviers coupés qui forment un château de cartes. Par-delà la violence, les interventions cherchent à transformer les matières pour les vieillir, les éroder, les fragiliser… Elles empruntent à la musique : couper, recouper, coller, dupliquer, diviser, étendre, raccourcir, associer, blender,mixer, mélanger, éditer, associer, remixer… Autant de gestes que l’on retrouve dans les mixes quand il·elle mélange des tracks de musique concrète avec de la PC music, ou encore des oeuvres de femmes pionnières de la musique électro-accoustique des années 70 avec des variétés kitschissime d’un ibiza early 2000.

Ce principe de la trans-archéologie innerve sa pratique. Toute la force d’Hugo Laporte est d’œuvrer pour et dans un flottement temporel, de laisser la place à une spéculation libre et débarrassée des cadres normatifs d’identification. Il·elle multiplie les lectures de « vies antérieures, postérieures, hypothétiques ». Chaque œuvre charrie avec elle un imaginaire décuplé et un réservoir sans fond de récits possibles. Chaque œuvre se tient en équilibre entre archéologie et futurisme post-digital. Par exemple, il·elle réalise pour le chat d’un ami, une urne funéraire, sorte de vase canope 2.0, composés de débris de CD-Rom et d’écrans d’iPhone glanés lors de voyage.

Ce rapport à l’historicité fictionnelle, s’augmente parfois de dispositif d’accrochage et de choix scénographiques singuliers. L’œuvre bifurcation, avec des symboles à l’impression 3D moulés puis inclus dans des résines, se découvrait dans le noir, à la lampe UV, provoquant un nouveau régime d’apparition. Le fil qui lie toutes ses œuvres, est celui d’une esthétique Trashique (trash et chic) – des écrans morts, des pare-brise éclatés, des câbles anarchiques, des CD carbonisés, du verre pilé… – qui rencontre une symbolique originaire d’entrelacs, de cercles, de motifs tribaux. La mémoire émotionnelle intime s’objectifie, ainsi dans 𝘔𝘰𝘳𝘯𝘪𝘯𝘨 𝘊𝘩𝘢𝘰𝘴, 𝘌𝘵𝘦𝘳𝘯𝘪𝘵𝘺 𝘊𝘩𝘢𝘰𝘴... une collection de médailles de natation trouve une nouvelle vie dans une fontaine en béton, résine et silicone, sorte de totem quasi-sacramental. Comme sur une table de mixage, Il·elle prône une fusion High_Mid_Low dans le formes plastiques, une variation du vocabulaire musical qui agence les aigus, les voix et autres percussions et les basses et kicks.

La trans-archéologie n’est pas qu’une recherche plastique, mais bien une manière d’apporter au récit historique unilatéral des voix dissonantes, de pointer du doigt les distorsions des évènements, des faits historiques au profit d’une version officielle, toujours blanche, patriarcale et hétéronormée. À rebours, Hugo Laporte vient rappeler l’intrication entre les productions culturelles et technologiques et la domination coloniale. Dans la sphère technologique, l’œuvre Primary/Replica (2018) permet de rappeler par exemple que dans le langage informatique, les termes slave/master désignent un principe de fonctionnement des bases de données. En 2003, suite à une plainte reçue pour discrimination, le Comté de Los Angeles a imposé un changement de vocabulaire pour les fabricants, mais malgré cette disposition légale, la terminologie est encore répandue. Il·elle signale aussi l’emprise de l’héritage socioculturel classiste implémenté dans les nouvelles technologies et notamment les intelligences artificielles.

Dans la sphère culturelle, l’exposition Oracle Museum[2] réalisée avec la complicité de Katja Novitskova, soulève le caractère toujours colonial des musées, les problématiques de restitution d’œuvres, mais aussi les responsabilités d’une conservation éthique et pragmatique dans un contexte global d’accumulation et de surproduction. Le corpus d’œuvres présentées, sculptures, projections, photographies, musiques, constituent un chapitre d’un jeu vidéo en cours d’écriture.

Tous ces métissages stylistiques sont le reflet d’une intériorité qui résiste aux projections et assignations identitaires, qui se refuse à répondre aux obsessions malveillantes des origines ou de l’orientation sexuelle, en choisissant sciemment une force spéculative et fictive, qui de son être passe à l’atelier et se glisse ensuite dans les objets.

Selon un désir d’œuvre totale et d’univers sensitifs éclatés en des grands écarts stylistiques, Hugo Laporte projette ses sculptures comme des élément de décors, des accessoires-architecturaux, le tout bercé par des mixes et productions hypnotiques, signéshumoristiquement par des alias tels que H0ity T0ity ou Myrrh Asghar. Être Dj et compositeur, lui permet des croisements entre procédés musicaux et procédés plastiques, de transposer des attitudes aux métiers spécifiques du champ de l’art. Un détournement, presque une performance, où la pratique déborde pour jouer à archéologue, jouer au conservateur·rice.


Texte commandé pour GENERATOR, par 40mcube, centre d'art contemporain - Rennes.


[1] Hugo Laporte et Katja Novitskova, Oracle Museum, Carré d’art, Nîmes, 5.04 - 22.09.24

[2] Première étape d’un projet plus vaste amorcé dans le cadre de GENERATOR, formation proposée par le centre d’art contemporain 40mcube à Rennes.