Textes - Portrait - 02/07/2023
Seunghyun Park emprunte et mélange différentes esthétiques de l’image en mouvement, des codes classiques du cinéma jusqu’à des médiums vidéo qui sont ceux de la société digitale contemporaine. Dans Omma Collection No°6, elle imite une vidéo d’unboxing, que l’on trouve sur les réseaux sociaux, pour Time Slipped Seventeen Years Ago elle a recréé un jeu vidéo. Sa maitrise de l’animation 3D lui permet de naviguer entre pastiche de cinéma japonais, comme pour l’installation Minami Senju et l’animation d’épouvante avec Hot Brick. Ces hybridations de style et de genre lui permettent de faire émerger des décalages surprenants, humoristiques, mais définissent aussi une certaine forme de particularité et de signature analogue de films en films. L’absurde s’immisce par touches imprévues, par exemple, Hot Brick se termine par une échappée des trois petits cochons par un passage secret qui les conduit de la noirceur du Nevada aux couleurs acidulées d’Hawaï.
Les différentes sources vidéo qu’elle utilise présentent aussi des éléments textuels caractéristiques, comme les sous-titres de traduction automatique de Youtube ou encore les légendes des jeux vidéo. Elle s’approprie cette matière textuelle, souvent incohérente et la met au service d’une certaine forme d’humour, parfois grinçant.
À cela s’ajoute une imbrication des formes de narration, entre des schémas narratifs conventionnels qui guide la compréhension, et de formes beaucoup plus lâches, comme des flashs ou des glitchs, qui permettent à l’imagination de faire le reste.
Ses films et animations naissent de souvenirs, d’éléments intimes qui deviennent des éléments déclencheurs. Elle collabore régulièrement avec Sandro Berroy, qui l’accompagne sur de nombreux projets et ensemble ils puisent dans leur sensibilité et subjectivité respective mais aussi commune. Un Beau Soir est un plan fixe sur une route d’un terrain militaire à proximité de Bayonne, où Sandro Berroy a grandi. Pour Comment devenir chanceux Seunghyun Park a mis en scène grâce à l’animation des objets de son enfance, reconstruit en 3D, archivés dans une maison virtuelle. Omma Collection No°6 fait apparaître sa mère, sortant d’une boite, dans des positions de prière, le unboxing permettant alors à l’artiste de partager un souvenir personnel. Minami Senju est inspiré de leur visite d’une petite librairie à Tokyo. Composée de trois vidéos, l’installation rassemble une recomposition 3D de la librairie d’après leurs souvenirs, donnant à voir la vendeuse dans son magasin qui présente des images et des objets tirés des magazines que les deux artistes y ont achetés. La seconde vidéo, opère comme une sorte de contrechamp qui révèle le contenu de la télévision située sur le comptoir de la vendeuse. Le faux film diffusé sur la télévision est ensuite répété dans une télévision posée dans l’espace d’installation. L’installation pluri-écrans rend possible plusieurs points de vue, plusieurs niveaux de lecture restituant une atmosphère, la saveur particulière de leur expérience.
Cette amorce intime se dilue ensuite dans des récits plus vastes et génériques, parfois historiques, parfois fictifs. À ce titre le court-métrage Hot Brick pourrait se lire comme une sorte de sédimentation vidéo, une superposition de couches. Il y a d’abord le conte populaire des trois petits cochons, revisité mais tout de suite identifiable, créant un lien direct avec l’audience. Ils déambulent dans les vestiges d’un site historique d’essais nucléaires baptisé Survival Town au Nevada. À ce stade, ils semblent vouloir échapper au loup, à moins que celui n’incarne métaphoriquement la menace nucléaire et celle in-fine des affrontements et de la guerre. Le fait historique nucléaire est alors traité sous plusieurs angles déconcertants : l’animation 3D laisse entrevoir les mécanismes de simulation mis en œuvre et notamment la réalisation d’essais nucléaires sur des maquettes grandeur nature ; le film noir et blanc renvoie lui à la théâtralisation de cette entreprise nucléaire et notamment la diffusion de ses essais à la télévision.
Toujours dans le registre militaire mais où la fiction tourne à la parodie, les véhicules qui défilent sur la route d’Un Beau Soir pourraient sortir d’une parade militaire, d’une démonstration de force, si ce n’est qu’en lieu et place des chars, se succèdent sur 4 roues motrices des artefacts archéologiques ambiguës, des masques réalisés en 3D selon les représentations les plus répandues dans la culture de masse des figures extra-terrestres.
Cette dimension culturelle partagée se retrouve dans Comment devenir chanceux, où sans piocher dans la vaste matière des évènements historiques, elle s’inspire pour dessiner sa maison virtuelle des principes d’un mythe culturel plus nébuleux, qu’est le Feng Shui, en ayant collecté sur des forums les diverses instructions partagées pour éviter la malchance et favoriser la prospérité.
Sa pratique se construit donc dans des collectes, d’images, de symboles, de faits, d’histoires, d’habitudes, qu’elle cherche dans la sphère imaginaire ou digitale et qu’elle rassemble dans des associations singulières, ironiques et avec une portée politique certaine. Par des entrées toujours personnelles, qui provoquent une adhésion spontanée du regardeur·euse, elle décortique par ses outils vidéo la construction des croyances, la puissance des fausses certitudes et la menace latente de la propagande par l’image fixe ou en mouvement.
Texte commandé par la Biennale de Mulhouse pour les lauréates de l'édition 023