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Noémi Lancelot

Portrait

Noémi Lancelot

Pour l’exposition Non contractuelle à Drama, Noémi Lancelot avait prévenu quelques heures avant le vernissage sa communauté sur Instagram : toutes les pièces en forme de phallus ont été détruites et « la vie est beaucoup plus belle depuis ». Détruire son propre travail est une position radicale, ici doublée d’une épaisseur féministe, qui témoigne de l’ancrage résolument conceptuel de la pratique. Ce n’est bien sûr pas sans rappeler, avec beaucoup de facétie, le Cremation Project de John Balderassi, qui en 1970 décide de brûler toutes les toiles peintes entre 1953 et 1966. Libéré de ses objets et de ses formes finales, l’art existe alors dans l’idée, dans le geste, il se dématérialise. Dans son film En finir avec l’art - Director’s cut, le chapitre 6 est justement consacré à la connaissance matérielle, qui serait, selon les mots de la personne interviewée, une manière de « se connecter au réel ». En suivant une scène d’atelier, où deux femmes sont en train de réaliser des palets en plâtre, selon un procédé tâtonnant et empirique, la caméra cherche alors peut-être à interroger la connexion effective à la réalité de ce travail d’œuvre.

Cette séquence, prise dans la totalité de la vidéo-documentaire-préparatoire à une fausse conférence sur l’arrêt de l’art, permet aussi à Noémi Lancelot de formuler un double-constat qui infuse toute sa pratique : l’artiste n’est pas défini par sa production, et ne rien produire est éminemment politique. Contre la séduction de la nouveauté et l’attrait du génie innovant, et dans une écologie de pensée, de moyen et d’attention, elle s’attache à choisir des formes pauvres, qu’elles soient plastiques, comme du papier, des agrafes et de la colle pour les éditions faciles ; ou médiatiques, entre auto-filmage et improvisation. Le décor des vidéos est dénudé, intime et rudimentaire. Le champ est partiellement obstrué par des objets de la vie quotidienne, bouteilles de vin, tasses.

C’est une production de la reproduction, quand elle copie et plagie volontairement des œuvres déjà existantes, avec une série où d’autres artistes connu·es et reconnu·e deviennent des pièces : Présence Panchounette, Felix Gonzalez Torres, Andrea Zittel, Nam June Paik. Une production référencée et selon modèles, avec des clins d’œil à des pièces historiques, comme le I Will Not Make Any More Boring Art de Baldessari qui affleure à la surface des tableaux noirs filmés dans les concentrations. Une production de la répétition, où les idées créatrices sont réemployées d’une œuvre à une œuvre, où les vidéos sont prises dans des effets de loop.

Il est fondamental à Noémie Lancelot de produire hors de l’atelier, d’éviter de dépenser pour produire, et de s’émanciper de la vente. Les conditions, les lieux, les moyens de production sont pour elle finalement détachés du métier d’artiste, qui se joue plutôt dans une symbolique du statut, de la posture et du relationnel. Dans ses références figure bien sûr Lee Lozano. Quand celle-ci en 1969, annonce sa General Strike Piece, elle n’arrête pas de produire plastiquement, mais se retire du monde social de l’art, des vernissages, des expositions, des rassemblements. Elle arrête de produire la fiction de l’artiste, révélée ainsi par l’absence.

Être artiste, pourquoi et comment en vivre ? La pratique de Noémi Lancelot navigue entre l’artiste-fiction et l’artiste-métier, et prend toujours l’art comme sujet à décortiquer, à performer, à filmer, à écrire. Il est traité comme un travail, une économie, une profession, un rôle social. Sans illusion et sans romantisation, au contraire, c’est un regard terre à terre qu’elle porte sur le travail artistique, un parfait hommage rendu au « talent is cheap » de Baldessari. Un travail qui ne devrait pas déroger à la règle capitaliste d’être une activité régulière et rémunérée pour nous faire vivre. Avec une série de courtes vidéos montées bout à bout devenant Un film alimentaire, elle joue avec la polysémie de la nourriture, de l’assouvissement des besoins primaires que le travail doit garantir, à la nourriture conceptuelle, intellectuelle, que l’art est censé assumer. Sans début, sans fin, en refusant tout esthétisme, s’enchainent des scènes banales, comme manger une glace ou un macaron, et d’autres situations « unprofesional » : brûler un papier urssaf, tourner avec une fausse maîtrise une céramique. Un régime d’actions aléatoires en contraste et en décalage qui signalent avec humour les contradictions des valeurs de l’art.

L’inadéquation entre art et travail dans la société actuelle semble pourtant être telle que nombres d’artistes et travailleureuses de l’art ont recours à des jobs alimentaires, et Noémi Lancelot a décidé de les investir. De la médiation à Moly-Sabata, elle en fait ses premières performances en direct où elle fume dans ce qui ressemble à une salle d’exposition. Elle initie ses évènements pédagogiques, qui continueront sous la forme d’ateliers performatifs et participatifs comme L’histoire de la crème glacée proposé au Palais de Tokyo à l’été 2023 ; des différentes billetteries de Paris Musées, elle en capture des fragments et s’en inspire pour un roman intitulé Improfessionnelle, en attente d’éditeur.

Se dessine progressivement dans chaque action, chaque vidéo, chaque texte, une critique institutionnelle des lieux d’art, de leurs conventions et du système de validation. Parfois, elle force l’institution à prendre position lorsqu’elle impose une visite en non-mixité. Parfois encore, elle tourne en dérision les conditions contractuelles d’une résidence. Cette pensée en creux est parachevée par un recueil, Antiperformances, « une invitation à penser l’action par la négation », où le refus devient statement, et le rejet exprime son rapport au monde, politique, militant, féministe.

Là où les vidéos sont majoritairement muettes, les ateliers, les performances, les écrits mobilisent le langage et son pouvoir de dénonciation, de contestation. Noémi Lancelot le travaille comme un matériau à part entière. C’est son Je, l’entité maîtresse de sa vie fictionnelle. Elle le façonne pour faire rire, attirer l’attention, elle l’emploie au service de la vérité ou le force à mentir. L’anecdotique devient avec force argument politique, quand elle se révolte contre l’hétérosexualité comme travail, contre l’invisibilisation et la grossophobie du monde de l’art. Car derrière des apparences anodines, simplistes, rigolotes, Noémi Lancelot s’est lancée dans une lutte pour la survie.

Texte commandé pour GENERATOR, par 40mcube, centre d'art contemporain - Rennes.